1.3.09

Back from "Morse"

Il y a un film suédois/de vampires, qu'il faut pourtant aller voir.

Morse,

comme "bip-biiiip-bip-bip", et comme "morsure", car ce n'est pas un documentaire animalier. Quoique...

La-vie-d'ma-mère-si-j'mens-j'vais-en-enfer, ai-je déjà pleuré en regardant une histoire d'amour ? Ai-je déjà vu des enfants aussi tendrement - fébrilement - captés, regardés, entendus ?

A-t-on déjà porté une telle attention aux murmures, souffles, couinements, gémissements, qui relèvent les mots à la manière d'un code tacite ? A-t-on déjà mixé ces borborygmes sémioïdes à un tel point de proximité avec les bruits obsédants des gestes liés au contact avec les objets, à la manipulation des choses (ustensiles, clés, goulées de bière, neige écrasée,...), pour former comme un sous-texte, un "infra-dialogue" ? - Et donc, le morse, bruit et signe, comme synthèse du signe vocal et du bruissement du quotidien ?

Oui, sûrement, mais je n'étais pas là.

Quelques notes sur le film, sachant que la finalité de ce billet, relativement aux lecteurs autres que moi, est de ne pas les décourager d'aller y voir de plus près.

Sur le morse, donc : ce qui me plaît, évidemment, c'est l'idée que le morse est un toucher ET un son ET un médium de parole supposant une séparation (distance, cloison, boîte). S'embrasser à travers les murs... Cette scène finale, dans le train, qui reprend celle du lit ("Petit garçon, devine combien j'ai de doigts") en lui conférant mouvement, vitesse et sourire... (ce qui se dit dans le train par tapotage, pour seukionvulfilm, c'est "P-U-S-S" si je ne m'abuse, "petit bisou" en morse suédois).

Même si le réalisateur déclare ne pas s'intéresser spécialement au cinéma dit d' "épouvante", sa manière de traiter les scènes relevant de ce genre adopte certains procédés à l'oeuvre dans certains classiques japonais (Ring, The Eye) : transformation du grain de l'image, déplacements rapides et comme mécaniques des corps fantomatiques. Mais il parvient à en renouveler le sens visuel : lorsqu'Eli (le personnage d'enfant vampire) attaque, elle tombe comme une masse inerte, pesante, ou bien saute sur les épaules de sa victime comme un gamin en train de jouer, ou même un chimpanzé... Le corps se voit doté d'attributs "autres" (vitesse, pesanteur démesurées) mais ne semble pourtant pas "surnaturel".

Cela s'inscrit d'ailleurs dans une autre dimension du traitement de la "peur" dans Morse : on n'est jamais complètement dans l'angoisse, les scènes "gore", violentes sont toujours contrebalancées par un élément "étranger" (le chien dans la scène où le "protecteur" - père ? amant ?- saigne un passant, le soulard réclamant son briquet à une femme qui vient de se faire mordre par Eli), qui ajoute un facteur comique sans pour autant que la scène bascule dans la dérision du type Scream. Film inquiétant, non pas tant par le registre adopté que par l'impossibilité de s'installer tranquillement dans un genre balisé.

Autre différence avec les modèles japonais : l'incarnation des personnages a ponctuellement pour effet de diluer l'intrigue (qui pourtant existe bien, remarquable dans sa construction) : la diction d'Oskar (l'ami d'Eli), par exemple, les petits couinements qu'il émet quand il doit parler ou approuver ce que vient de dire son interlocuteur, et qui répondent aux grognements topiques d'Eli dans cet "infra-dialogue" fait de bruissements pré-verbaux. D'un côté, l'histoire racontée, sa logique, sa charpente, de l'autre ces échos parallèles - ou sécants - à l'histoire, qui trament bien d'autres sens.

Beaucoup de lieux communs du vampirisme : le jour fatal, le sommeil associé à la claustration, le sang nourricier, la connotation sexuelle liée à la culpabilité. Mais tout est subtilement remanié pour donner une portée nouvelle à ces topoi (on est loin d'Entretien avec un vampire...). Sur le référent sexuel, par exemple, la scène du lit (où Eli décide donc de dormir avec Oskar, ce qui rompt son rituel) mise en relation avec celle de la salle de bain (Eli, découverte par un des voisins, dormant dans une baignoire sabot recouverte de couvertures qui lui tient lieu de cercueil) dessine une "carte du tendre" émouvante... Allez-y voir, vous dis-je !

Le surjeu de Conny (le "mauvais garçon", à la tête d'un trio qui a adopté Oskar comme souffre-douleur), qui peut agacer pendant tout le film et trouve sa raison d'être à la fin (Conny singe son frère aîné ; du coup, en sa présence, il réintègre son identité de marmot lâche et mijoré).

Le dernier quart du film : jeune garçon quasi-nu devant la vitre, reflets, neige, on se dit que tout va finir comme ça, puisque c'est la même scène qu'au début, circularité/symétrie, le pauvre enfant se retrouve à nouveau seul etc. Et puis non, ça continue, on passe d'Oskar en slip à Oskar en maillot de bain, de la neige à l'eau de la piscine, de la vitre à l'eau miroitante, de la solitude à l'agression, du départ d'Eli aux retrouvailles, simultanément émouvantes et grand-guignolesques ; et ce qui va recommencer, ce n'est pas l'histoire d'Oskar, mais celle d'Eli : cette fin est une coda renvoyant à un da capo, lui-même amorcé avant le début du film...



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