26.2.09

Back from CHIRICO


D'un point de vue, on peut tenir pour acquise la dissolution du Zeitgeist dans le psychologisme, la préoccupation socio-politico-économique et le spectaculaire, pour s'en lamenter.

En même temps, on peut aussi aller voir l'expo Chirico au Palace Tokyo ("Iéna", en métro).

Alors comme ci, c'est le complexe de castration qui nous interdirait tout accès au réel ? Alors comme ça, il serait plus intéressant de savoir, devant une oeuvre, non pas
CE QUI y est dit/montré/fait entendre, mais le POURQUOI de l'affaire (la mère de l'artiste, son chien, sa peur d'aller à la piscine, avoir surpris tonton et son voisin dans la cabane près du pommier, etc.) ? Alors comme cela, on aurait juste à réagir (aimer/pas aimer) puisqu'au fond on ne comprendrait rien ? Alors comme celi, primum vivere deinde philosophare, et avec la krise, niksark et le buying pawa qui s'barrankouï, c'est pas gagné ?

Face à ces immondices, Chirico lave plus blanc
.

Alors, oui, la récurrence naïve du mot "metafisica", les bafouilles sur le "sens secret des choses" et le rôle de l'artiste comme "voyant" actif, tout cela peut sembler un peu daté, pré-pubère - surréaliste. Mais il faut quérir au-delà de l'écran de fumée, sinon on passe à côté de l'étincelle...

Autoportrait de jeunesse - comme une devise, une phrase sous l'image : Quid amabo nisi quod aenigma est ? ("qu'aimerai-je, sinon ce qui est énigme ?"). Il s'agit d'amour, pas de désir, là on est dans la baise, pas dans le fantasme - mais de l'amour au futur : projet ? attente ? pré-vision ? Avec un peu de facilité, on pourrait même comprendre cette phrase, non comme un commentaire livré par "l'artiste" - celui qui peint, se peint, est peint - mais comme une ligne d'un dialogue que le "spectateur" aurait à prendre à son compte : qu'aimerai-je, dans ces tableaux, si ce n'est l'énigme qu'ils ouvrent.

Et des énigmes, il y en a ! Visages sans traits zébrés de traits, perspectives brouillées, bananes géantes en lieu et place de statues, espace déserts, ombres sans sujet, équerres et compas, pâtisseries juives, bobines, cheminées, fanions, plans coupés,...

Béance grouillante.

Et donc, face aux tableaux : on ne comprend pas, les symboles sont indéchiffrables faute de clé et/ou trop voyants et/ou non repérables. Un vide, donc, une énigme. Comment faire ? Il faut bien pourtant mettre du sens, produire du texte, parler - ne serait-ce qu'en raison de la fraîcheur appétissante de la voisine de droite, qui semble n'attendre que cela. Mais qu'est-ce qu'on va mettre dans ce vide ?

Ce qui semble unique chez Chirico (en comparaison avec Dali, par exemple), c'est qu'il est difficile de se la raconter devant ses toiles.

Essayez, pour voir...

Vous pouvez, souplement, commencer avec l'homosexualité contrariée de l'artiste, enchaîner à l'aise avec son rapport complexe à l'Italie, embrayer peinard sur la dualité futuriste/baroque de ses champs d'investigation, continuer pépère sur "pourquoi la locomotive ?", rameuter relax les références plus ou moins assumées à "l'Histoirdelar", etc.

A un moment, ça bloque.

Je ne sais pas pourquoi, mais ça bloque. Chirico ne se paye pas de mots.

Je ne sais pas pourquoi, mais ça doit tout de même avoir un lien avec sa "méthode" : partir des rêves/visions/rêveries/fantaisies, postuler que là est le sens, et se trimballer cette croix sans succomber jamais aux tentations de la psychologie psychanalysante à la sauce Jung (qui est le vrai fossoyeur de l'art moderne, qu'on se le dise !). D'avoir introduit la géométrie des lignes (axes, points de fuite) comme moyen de contenir le feuilleté infini du rêve dans la toile - si je ne m'abuse, jusque là, la perspective avait surtout servi à mettre le monde en boîte (cadre de tableau, scène de théâtre).

Alors, évidemment, sortir que "le rêve c'est de la géométrie vectorielle", ça n'aide pas à rendre réelle l'éthique du dialogue que l'on voudrait inventer avec la voisine de droite... (qui est déjà dans la salle néo-baroque, alors que Le Combat, pré-Guernica, nous tend les bras...).

Il y a une petite sculpture, réalisée par Chirico d'après un tableau, qui - paradoxalement - fait comprendre tout cela très bien : une femme éplorée s'appuyant sur l'épaule d'un "mannequin" ; regardez-la sous tous les angles, dans la mesure du possible, et vous verrez... L'impression qu'à chacun des angles choisis, l'objet renouvelle ses lignes, ses élans, ses dynamiques... Si ce n'est pas un rêve, ça !


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