30.3.09

Guide du Routard (co-rédigé avec S.Y.L.V.)


Où gueuletonner entre potes ? Toutes les adresses dans le Guide du croutard

J’élève mon enfant, nouvelle édition du Guide du moutard

Le scrapbooking en 10 leçons : le Guide du book art

Pour un pénis toujours plus soyeux : le Guide du doux dard

Où tirer un coup après le spectacle ? Vite ! Le Guide du trou tard

Port du tchador : tout sur vos droits dans le Guide du foulard

Où se murger pour pas un rond ? Consultez le Guide du saoulard

Faites la gueule en toute discrétion grâce au Guide du boudoir

Sachez aimer votre destin avec le Guide du tôt ou tard

Faites comme Bertrand Cantat, lisez le Guide du roustard

Assumez votre vulgarité avec le Guide du soudard

je vois aussi parce que le temps a passé une ombre disparue sur la façade des immeubles trottoir de droite rue de rennes maintenant ils prennent tout le soleil et le dernier étage celui avec le long balcon vert bouteille semble plus blanc que les autres car en pleine lumière on distingue les ajouts d’étage pas la même pierre pas la même absorption de l’enduit pas la même réaction à la lumière rasante tu crois qu’on pourrait dater tous les immeubles parisiens grâce à la lumière ? en s’organisant ce serait jouable mais fastidieux commandos lampes torches casques de mineur frontales/pour barbès la bougie pour passy les halogènes pour les abords du bois de vincennes la lampe de poche pour les quais de seine des lampes-tempête pour les champs élysées des lampes à pétrole et pour clichy des lampes de chevet sinon ça va/mais oui mais oui passé le week-end dans les transports en commun bus métro rer ter en fait tu navigues entre ivresses solitaires et transports en commun oui certes mais c’est un anti-chiasme ivresse pris métaphoriquement transport pris au sens propre mais l’expression ne tient que si l’on prend l’un comme l’autre.hein ? non rien assis à la table voisine deux abrutis causent grille de salaire en buvant de la leffe j’ai du mal à m’entendre mille sept cent euros deux mille deux cent euros le tout en net bien sûr statut de fonctionnaire mais c’est pourtant un bel endroit pour regarder la nuit tomber même avec un sourire niais et porcin même avec des préoccupations négotieuses on peut au moins se taire trois minutes pour regarder le bleu-gris-vert du ciel qui s’éclaircit en s’affaissant sur le métro aérien et la tour eiffel illuminée regarder les nuages pleins de relief les merveilleux nuages comme disait l’autre mais non ce qu’il faut dire c’est du mal de christine qui a des cheveux filasses et des cernes sous les yeux et qui n’a pas l’air heureuse alors qu’elle touche plus de mille cinq cent euros par mois en net bien sûr mais moi je pourrais être directeur chez macdo je gagnerais deux mille cinq cent euros en net bien sûr à ne rien faire de la journée mais est-ce que je réussirais ma vie est-ce que j’assouvirais ma soif d’entreprendre/c’est pas beau de cafter mais non je viens de leur demander si ça les gênait que je parle d’eux sur mon glob et alors ? ils m’ont regardé d’un œil globuleux j’ai pris ça comme un bon pour accord vous êtes quoi ? doctorants en économie bonne soirée pas de souci sinon.il y a aussi le parvis de la gare du nord tu aimes imaginer l’intérieur des grands hôtels décrépits terminus nord new hotel richmond apollo les ambiances feutrées les odeurs de renfermé de poussière les murs sombres moquettés les bruits de pas et d’ascenseurs les relents de tabac froid qui vaincront à jamais toute loi anti-fumage intra muros tant qu’il y a de la moquette il y a de l’espoir oh my god OMG/comme OSEF on s’en fout/cet endroit est tellement laid qu’il en deviendrait attachant la pluie teintée de soleil arriverait presque quasiment à rendre pas loin d’à peu près vivante la façade de l’hôtel mercure dont tous les étages datent de la même année tu as vérifié oui à la lumière de la flamme de mon zippo ce fut long et coûteux ayant pas mal/oscillé entre la gare du nord et guy moquet durant ma post-adolescence je suis toujours assez fan des odeurs de frites des ambiances interlopes tu aimes ce mot ? oui des à peu près des gouailles obscènes des dragues mal rasées et grises des rades itou des déambulatoires tapinesques des silhouettes de putes de trav qui surgissent de l’ombre derrière la porte vitrée d’un ex hôtel devenu lieu de pas sage ouais tu nous fais carné prévert nan nan nan y a de nos jours davantage de wesh cousin que de ça boule ma couille mais ça n’a guère changé/bon c’est un post touristique sur paris que tu nous dégoises céans non/je parle de ce que je vois or tu ne crois quand même pas que j’ai passé la nuit à la terrasse du saint malo à regarder l’échancrure de la rue de rennes en pensant à la fraîcheur des lèvres de F ? non bien sûr j’ai passé une partie de la nuit devant l’église de la ville de moyenne importance l’église est située à l’écart du centre sur un promontoire elle domine la région au loin on aperçoit les amas cubiques de la ville de grosse importance l’église est positionnée de telle manière qu’elle bénéficie des rayons du soleil couchant en premier qui orangent ses pierres de façade tu l’as datée ? non j’avais oublié mon zippo de toute façon il était vide françois couperin a dédié une de ses musettes à la ville de moyenne importance une musique qui pourrait ne jamais s’arrêter pourtant c’est quoi une musette c’est une petite musique de sac un bourdon une mélodie vaguement modale une imitation de la cornemuse corne=tuyeau muse=sac plus fini que ça y a pas et pourtant ça pourrait durer toute la nuit devant l’église orangée face aux cubes amassés de la mégalopole provinciale toutes les nuits plus une wesh sérieux/tu nous fais le guide du routard de paris et ses environs ? ah tiens en parlant de guide du routard

26.3.09


Ecriveur blet écriture et lecture blanches degré zéro de l’écriture ça c’était du concept mon gars ça/c’était le bon du temps du temps où on attaquait la littérature à l’acide structurique où le moindre morceau annonciateur d’intrigue se disloquait rongé éclaté le temps où l’histoire la psychologie des personnages la biographie de l’écriveur étaient renvoyés à leur poubelle respective on en revenait sec et chauve fallait écrire autre écrire intransitif écrire la semiosis aligner du signe pour dessiner des sens infinis dé-signer/c’est pour ça que la question de l’argent du système monétaire de l’organe économique devenait cruciale qu’est-ce que l’argent si ce n’est un corpus infini de signifiants billets chèques pièces actions dénués de toute valeur en eux-mêmes et dont l’équivalent en or réel n’existe que potentiellement car un milliard c’est toujours potentiel ça existe au mieux en tant que mot et chiffres sur le chèque qu’on te tend ou que zéros après le un dans la colonne crédit de ton compte ce n’est rien ça n’est qu’objet de croyance de crédit on y croit bien fort croyez et multipliez mais donc l’argent aussi ne sert qu’à dé-signer et du coup rend pas mal de choses insignifiantes.wesh cousin l’argent pourrit les gens man/et d’ailleurs peut-on écrire quand on se soucie d’argent non ça fait conflit d’intérêt conflit d’interprétations conflit d’herméneutiques non il faut être vieux nabab ou vivre comme diogène dans un cas comme dans l’autre cultiver une indifférence dédaigneuse par rapport à ces questions de fric otium negotium l’activité lucrative n’est que la négation de l’otium cum libris t’as pas l’impression de réciter un cours là ? si par contre j’ai remarqué comme tout le monde que lorsqu’un écriveur est reçu par la télé pour y parler d’un livre où il est question d’UNE mère le journaleux ou le présentatif l’interroge sur SA mère voire sur sa MAMAN/oui on sait ça mais c’est en train de gagner du terrain à travers l’extension de la télé que constitue le social exemple votre maman elle vit encore ? réponse : oui c’est clair pas de souci mais la question est-elle celle d’une écriture visant tous les sens possibles plus un donc une infinité de sens ou bien dont chaque sens en nombre fini désignerait l’infini ce charabia me fait penser/c’est déjà ça/me fait penser que/dommage/me fait penser que tu as émis un éloge de buzzati comme clôture oui et ? ben c’est contradictoire non car c’est/parce qu’on dort qu’on rêve parce qu’on se finit à fond qu’on produit de l’infini et encore il faudrait déterminer en quelle mesure le rêve peut être décrit comme produit/c’est trop la honte qu’aucun mathématicien n’ait modélisé équationnellement le schéma de ce qu’on appelle une histoire finie en général une histoire qui semble finie bouclée peut se comprendre de plusieurs plus une manières.par exemple ? par exemple la vie est belle de capra si le héros est bien toujours vivant à la fin c’est un film déprimant d’optimisme si au contraire il n’est pas sauvé lors de son suicide alors la fin devient une vision cette dernière pouvant se voir soit comme une hallucination pre mortem sorte de near death experience soit comme une vision post mortem correspondant ou bien aux fantasmes conclusifs de rachat et autres produits par le personnage ou bien à la vie après la vie où tout le monde en fin de compte réalise dans l’infini la niaiserie contenue en chaque finitude etc etc pourtant ce film est vraiment bouclé plus c’est bouclé plus c’est infini comme buzzati cq/fd t’auras jamais ton deug ta licence ton master ton dea ton capes ton agreg parce que tu cherches à démontrer des thèses générales par des cas particuliers des exemples oui c’est le performatif de la thèse d’aujourd’hui et puis c’est toi qui m’a demandé un exemple/prise de tête.tu ne veux pas plutôt parler de ce que tu vois à l’instant même alors à l’instant même je vois l’échancrure de la rue de rennes des ombres en haut des immeubles un avocat déjà aperçu à la télé avec une stagiaire du patin à glace sur écran grand format la tronche bièreuse d’un client au comptoir du saint malo les lèvres de F dont j’ai eu envie d’embrasser la fraîcheur tout à l’heure elle est à paris avec toi ? non mais tu m’as demandé ce que je vois je te réponds je vois aussi la tête du mideulouane qui m’a réclamé hier soir des additions en colonne à effectuer histoire d’aligner de structurer de mettre de l’ordre de compter les retenues dans ce monumental mismatch parental qui lui tient lieu de référent familial depuis trois mois je vois la tête du liteulouane qui veut imiter le mideulouane et qui compte dip once douce treche castor je vois la tête du bigouane parlant de kant dans le métro/ouais mais ce que tu vois vraiment pas ce que tu imagines pas ce que tu te rappelles en images pas ce que tu fantasmes bon du calme.je vois les allées et venues devant un cinéma qui joue un chat un chat et duplicity deux films que j’aimerais bien aller reluquer avec du temps et de l’argent/un chat un chat duplicity ? oui comme par hasard ? oui duplicité c’est kif kif que simplicité question étymologie c’est une histoire de plis t’as déjà cité deleuze dans autolyse # 1 oui pardon simplex un seul pli duplex deux plis ou plus ou plusieurs ou plusieurs plus un c’est bien/dans le pli que deleuze cite la monade sans porte ni fenêtre à ce point close qu’elle contient tout ? ouais possible en tout cas c’est la différence entre la torsion de moebius et le pli de leibnitz ok c’est clair pas de souci ça fait pas un pli c’est plié

25.3.09

mais à part autolyse tu apprécies également entropie n f [du grec entropê, retour] 1 THERMODYN grandeur qui permet d’évaluer la dégradation de l’énergie d’un système [l’entropie d’un système caractérise son degré de désordre] 2 dans la théorie de la communication nombre qui mesure l’incertitude de la nature d’un message donné à partir de celui qui le précède [l’entropie est nulle quand il n’existe pas d’incertitude] j’aime bien cet article on dirait un texte de loi c’est incompréhensible mais pourtant ça parle de nous toi moi vous eux un jour tu as lu que le genre romanesque/semble animé d’un principe d’entropie idée de clôture sur soi de perte progressive d’organisation d’épuisement continuel de ses ressources le roman s’apparente à un œuf coque qui sort de l’eau bouillante la disparition de la pellicule aqueuse à la surface de la coquille symbolise l’histoire du roman qui n’est qu’un épiphénomène posé sur l’enveloppe des choses ouf/c’est quoi le jaune et le blanc des choses ? je ne sais pas en revanche si le roman est la pellicule d’eau la nouvelle est la coquille c’est la charnière entre le roman et la poésie cette dernière étant la pellicule organique qui sépare à l’intérieur de l’œuf la coquille du blanc/et quand on prépare des œufs dans un coquetier anglais on fait un œuf d’œuf ça s’appelle un dictionnaire en fait un dictionnaire c’est un roman à lecture aléatoire comme marelle de cortazar un roman encyclopédie un peu comme ton rêve ? oui mais ce n’était qu’un rêve et marelle est un pavé/un coquetier anglais appelons ça un egg cooker c’est un petit réceptacle en porcelaine doté d’un couvercle métallique vissable on casse l’œuf dedans on ajoute ce que l’on veut sel poivre autres épices beurre jambon herbes fromage on referme le couvercle en vissant à fond et on met à cuire dans de l’eau bouillante c’est bon mais la poésie a disparu avec la coquille/au fond de la poubelle avec les végétaux blets qui vient du francisque qui veut dire pâle/les écriveurs sont copro- ou scato-philes ? de toute manière les logo(dia)ries c’est encore une histoire de visages pâles de tuniques bleues de peaux rouges et de daily express/ça prend entre vingt minutes et trois jours à s’écrire tout dépend de la quantité de lettres à acheminer mais aussi de la qualité de l’accumulé et de la ciselure du formulé/vingt minutes c’était le premier qui n’est pas le plus court d’ailleurs arrête de compter ça n’intéresse personne n’empêche que c’est important/le temps pour la cuisson des œufs la porcelaine isole davantage que la coquille/tiens par exemple la lettre d’huissier contenant la citation devant le juge aux affaires familiales indiquait à cinq reprises mon état civil complet et mon adresse d’ailleurs le nom que je porte est un faux nom depuis la bretagne on me balance des faux noms le vrai c’est dmc qui ne correspond même pas à l’ur-name au nom premier/mais jamais dans cette lettre il n’est question du caractère obligatoire de la présence d’un avocat à mes côtés mais/c’est normal a dit la juge aux affaires familiales l’avocat ne devient obligatoire qu’à partir de la fin de cette entrevue dite de conciliation donc cette lettre ne parlait pas de ce qui est ou devait être mais en était grosse comme d’un potentiel ou d’un en puissance soumis à l’injection du temps dans l’histoire finalement/cette lettre était aussi à classer dans le genre poétique/tu as bien fait de la recopier début mars tu aurais même dû la faire figurer dans les versifications même si le texte n’est pas de toi pas plus que cinquante pour cent au moins du poème polyvox/j’envisage plutôt de recopier deux mille cinq cent sept fois 123456 et le poster dans les chantonnages sous le titre transe-minima-liste ou l’envoyer par courrier express chez al dante tu sais l’éditeur de christophe fiat de nathalie quintane ah ? oui heureusement que je ne cherche pas d’éditeur sinon je le ferais de suite et ce serait bien niais/avec tout ça toutes ces citations ces entrevues ces comptes à fermer ces comptes à ouvrir ces crédits à partager ces dettes à liquider ces avocats à implorer/la visite guidée de la cartonnerie a pris du retard

24.3.09

samedi tu t'es fait un cadeau une montre à vingt euros de marque shivas ouais nick rolex nick séguéla quand on n'a pas une montre à vingt euros à quarante ans c'est qu'on a trop porté de rolex avant on est irrécupérable/finalement c'est quand ta vie s'effondre que tu te rends compte que tu ne l'as pas gâchée/en rolex par exemple/en plus shivas c'est quinze ans d'âge c'est vintage/tu ne confondrais pas par hasard ? si le vendeur m'a révélé un grand secret pourquoi les swatch sont plus chères que les shivas vas-y raconte tout le monde veut savoir eh bien c'est parce que la swatch est jetable pas réparable si tu la casses si elle vieillit mal tu dois en racheter une autre/ou une rolex/voilà pourquoi elles sont si chères les swatches what a beautifull world/c'est quoi ton rôle ? ex/ça te va bien le rôle d'ex mais c'est un drôle d'exercice c'est de l'ascèse poétique c'est une diète de chaque instant de chaque geste un régime totalitaire quoi/oui ce n'est pas amor qui est tiranno ainsi qu'on a voulu le faire croire l'amor c'est une obsession comme dirait cavalcanti l'idée de l'objet aimé vient informer donner sa forme à l'esprit potentiel cavalcanti encore un pote de dante ? oui alors que le désamor consiste à désamorcer chaque tentation de rien chaque tentation de akoibon chaque tentation de pourkoifère chaque tentation de beurk chaque tentation d'autolyse chaque tentation d'enlysement tu n'es pas sous l'emprise [de] mais sujet [à ; de]/autolyse # 1 ça veut dire qu'il y en aura d'autres ? certainement à chaque coup de trafalgar c'est l'autolyse qui redémarre d'auto-analyse à autolyse on perd ana c'est pas le pire ana ça me bouffe par moment quand je suis plongé dedans/anyway on te l'a dit cent et mille fois l'auto-analyse c'est IM-POS-SIBLE alors que l'autolyse c'est TOU-JOURS POS-SIBLE à portée de main avec ou sans ana monsieur et madame faure ont une fille monsieur et madame coluthe ont une fille monsieur et madame logie ont une fille monsieur et madame vaikasyprendrplutot ont une fille monsieur et madame rbonnunsoirdepluie ont une fille monsieur et madame n'ont pas de fils sinon ça va ? d'enfer j'attends lundi mais c'est aujourd'hui alors j'attends que ce soit un autre lundi tous les autres lundis mais pas celui-là/le juge aux affaires familiales n'était donc pas une fille formidable ? le juge aux affaires familiales ne ressemblait donc pas à beth gibbons ? le juge aux affaires familiales ne faisait donc pas les 3/8 ? le juge aux affaires familiales n'aimait donc pas louis leroy dit regius ni casella ni portishead ni radiohead qu'est-ce que ça aime un juge aux affaires familiales ça aime les arbres abattus ça aime les imprimantes ça aime les jets d'encre ça aime le vocabulaire technique amphigourique gongorique galimatiesque/est-ce que ça aime le liteulouane qui pose sa main sur ton avant-bras en disant kichya ? arrête tu vas faire pleurer margot/sympa margot comme surnom/ça ressemble à quoi un juge aux affaires familiales ? est-ce que ça apprécie les citations à leur juste valeur est-ce que ça tombe amoureux de ses prévenu[e]s est-ce que ça s'appelle margoton et s'en va t-à l'iau avecque son cruchon est-ce que ça mouille dans son slip dans son jean en pensant à jacques rousseau [jean-] est-ce que c'est rouge et moite après l'amour le regard embué et les cheveux humides collés est-ce que ça crie autre chose que NOUS NE SOMMES PAS LA POUR CELA MONSIEUR TROTTINGUST est-ce que ça comprend pourquoi jacques higelin et marthe keller pètent les plombs dans elle court, elle court la banlieue ? qu'est-ce que ça lui fait d'être comlplice de ça ? je suis sûr que sous son pull elle cachait plein de rolex qu'elle avait l'avant-bras recouvert de rolex d'ailleurs son père devait être cadre chez rolex mais elle ce qui la branchait étant ado c'était le sort tragique de toutes ces femmes battues spoliées méprisées rabaissées internées d'office exploitées esclavagisées alors elle a décidé de faire juge aux affaires familiales pour défendre ces pôvres femmes mais comme son père lui filait ses rolex au bout d'un an d'usage vu que la boîte lui en offrait une neuve tous les premiers janvier elle les porte toutes alignées sur son avant-bras cachées sous son pull au poignet elle arbore une swatch pour faire diversion parce que les schwatch sont quand même beaucoup moins chères que les rolex quoique beaucoup plus chères que les shivas les schwatch c'est la moyenne ça fait middle class ça fait aurea mediocritas c'est suisse l'avant-bras de la juge aux affaires familiales est un véritable paradis fiscal/du coup j'ai refilé ma vieille schwatch au mideulouane qui l'appelle la ouatchk comme les ouatchk et les torotchk et les dirchtokonausores et kichya/y a rien mon coeur papou est juste allé ce matin réciter sa poésie devant le juge aux affaires familiales et a travaillé l'après-midi papou est un peu un tout petit peu fatigué vieilli usé papou a participé à la déforestation et à la croissance non maîtrisée en s'insérant dans la mécanique judiciaire/et puis papou a récité le mantra des cinq syllabes tu te disais que ça ferait chic sexy sérieux de connaître le nom de l'avocat de ta femme surtout qu'il est super dur à retenir tu penses six syllabes/non ? si six syllabes six phonèmes à apprendre par coeur origine pakistanaise en plus alors tu as récité 123456 pendant une heure et demi comme un mantra/lisant JUSTINE de lawrence durell tu récitais 123456 jouant à tétris tu psalmodiais 123456 allant pisser tu marmonais 123456 pour un peu avec l'émotion tu aurais presque oublié ce nom une fois dans le bureau de la juge aux affaires familiales ou alors tu aurais pu répondre 123456 à toutes les questions genre vous acceptez gna gna gna ? 123456/vous signez ? 123456 sinon la juge aux affaires familiales a dit alors/cette maison au financement de laquelle vous avez participé/que j'ai intégralement financée madame la juge aux affaires familiales/cette maison que vous avez partiellement financée/intégralement vous dis-je/donc cette maison que vous avez en grande partie financée/ploum/vous devez la quitter pour l'équilibre de vos enfants car l'absence de communication entre votre femme et vous les perturbe/madame la juge aux affaires famililales c'est ma femme qui refuse de me parler depuis trois mois dans cette maison que j'ai intégralemnt financée ou ailleurs/donc vous devez partir le six avril/ok cool et votre décision globale sur les termes du divorce sera prise quand ? le six avril/et j'en serai informé quand ? le six avril/comment ? par courrier/et vous l'enverrez où ? ben au domicile conjugal/que j'aurai quitté/oui/et les visites aux enfants vous êtes d'accord ? je suspends ma réponse vu que ça dépend de là où mes dits enfants seront s'ils sont pas trop loin j'accepte la mort dans l'âme sinon s'ils sont loin je me battrai pour les garder/ah mais non monsieur trottingust il faut d'abord que vous acceptiez ou refusiez on vous dira alors seulement où ils seront/sinon je vous informe que vous êtes décrit par madame trottingust comme incapable de vous occuper de vos propres enfants en semaine mais que vous le redevenez un ouiquainde sur deux et la moitié des ouacanses scolaires c'est la magie du jour du seigneur c'est le charme de l'été le miracle de pâques la merveille de noël l'enchantement de la toussaint sans parler des ponts de mai qui seront à n'en pas douter l'occasion d'autres prestidigitations une année sur deux ainsi que la fête des pères la fête des mères/madame la juge aux affaires savez-vous que vous êtes beaucoup moins jolie que maître 123456 mais que vous parlez infiniment mieux maître 123456 a appris quelques ficelles oratoires qu'elle récite comme une élève de ZEP appliquée certes mais tout de même un peu étrangère à tout cela d'ailleurs elle évoquait juste avant l'audience sur son téléphone portable ses prochaines vacances au club med/non ? si j'te jure alors que/vous madame la juge aux affaires familiales vous gardez une éloquence discrète mais adaptée mais vécue mais sentie même quand je vous agace quand je répète cinq fois la même question même quand je vous outrage en disant que vous n'êtes pas claire quand je tape du poing et hausse la voix/monsieur trottingust nous ne sommes pas là pour ça/et ainsi de suite/sinon y a rien mon coeur mon mideulouane ça a été vivement/lundi autolyse n f BIO CELL destruction des cellules sous l'action de leurs propres enzymes [le blétissement des fruits résulte d'une autolyse] 2 PSYCHIATR suicide

22.3.09


Thanks to C. for sending this postcard

arrête t'as vu ça où non attends c'est impossible tu dois faire erreur t'as vérifié t'as relu/je le jure je l'ai vu ça existe au moins ce que j'ai lu je l'ai lu CHRISTOPHE RIOUX A ÉCRIT TÊTE DE GONDOLE on peut l'entendre en lire des bouts sur libé-point-freu le salop le pèlerin moisi l'enclume de sable je m'en vais te me le te/donc non seulement il est vivant non seulement il a au moins une main non seulement il sait lire non seulement il n'est pas aphone mais en plus il pique mon titre tête de gondole j'ten foutrai des têtes de gondole[s] moi en plus/je parie que son bouquin est super sexy genre ironie tristesse barbe de trois jours violence et mords moi l'noeud mais pas après seize heures sinon je ne mange rien le soir/après audine qui me pique deux noms de personnages louis et majna dans sa nouvelle géniale d'il y a peu/je plaisante audine puisque chez moi c'est majéna pas majna vous c'est pour faire suédois moi c'est pour faire polonais enfin je ne suis pas sûr demandez à majéna/ce dont tu es sûr par contre c'est que pour un peu celle qui te cite devant le juge aux affaires familiales pourrait si elle en a envie te dénoncer pour plagiat tant qu'on y est par contre le onze septembre deux-mille-un j'étais à paris j'ai des témoins/tête de gondole en fait il l'a trouvé avant toi ? oui probable tu ne le lui aurais pas piqué par hasard ? tu vois c'est ce que je disais ça va me retomber dessus moi qui ne lis que des vieilleries on va m'accuser de plagier le titre d'un livre pas encore publié ni lu à haute voix par son auteur même sur libé-point-freu j'irai l'écouter demain j'ai juste vu l'annonce dans libépapier-point-uneurotrente/ce soir je dois faire mon yoga mon zen mon satori mon exercice spirituel ma méditation mes abdos cervicaux/tu gaves là tu saoules c'est trop crampe ton logo-D de ce soir y a du relâchement c'est tauto-biographique et d'ailleurs on se pose tous la question toi et moi de savoir pourquoi nous avons choisi cette alternance de je et de tu c'est pas toi qui l'a inventé ni toi/ça c'est sûr y a même un clampin qui a pondu tout un roman à la deuxième personne/du pluriel/miss C elle s'écrit tu également en fait tout le monde le fait mais pourquoi ? parce que c'est l'homme avec un gros tas de h face à lui même seul en solo dans l'isolement solitaire de sa solitude solipsiste ? parce que ça donne des tendinites d'écrire je tout le temps ? parce que dante a dit qu'il est mauvais de parler de soi about non from ? parce que ça introduit une dynamique dans l'écriture une tension des points de vue des antagonismes des polarités des mutismes des bouderies du ping pong bref du dialogue ? parce que ça restitue la dualité entre celui qui vit et celui qui existe/vivre+écrire=exister peut-être/ou la dualité entre celui à qui il arrive et celui qui y pense ou entre celui qui patauge et celui qui a des palmes ? parce que grâce à cet artifice on arrive à s'étonner soi-même ? en fait ce n'est pas un artifice dans la mesure où ça ne pourrait pas s'écrire autrement tu imagines ma mère je le sais était bretonne c'est d'un ridicule achevé et puis comme ça on peut faire varier les identifications de celui qui dit tu et parfois même intervertir les rôles/il y a du jeu mais pas d'artifice car le principe est imposé bref n'y passons pas la nuit non plus il faut que je relise la nouvelle sans titre qui a un titre/autolyse/tu sais quoi ? non quelques inédits de desproges ont été publiés sous le titre fonds de tiroir/bon au moins un qui ne te fera pas de procès/c'est demain la citation ? c'est demain

20.3.09

Autolyse # 1



Il venait de passer un sale quart d'heure.


L'avocat l'avait prévenu : dans ce genre de comparutions, tout se joue très vite et l'issue du procès peut se décider sur un simple regard, une manière de se comporter ou de se lever pour se présenter à la barre, plutôt que sur le contenu objectif des dossiers.

Il avait essayé de se maîtriser, non sans mal. A aucun moment la colère ne vint hacher le débit de ses paroles, aucune fébrilité ne troubla ses mouvements. Il avait presque de quoi se sentir fier, lui pour qui cet exercice de contrôle relevait du calvaire. C'en fut un, mais il en sortait victorieux.

A présent, attendre.

Il se sentait à la fois vidé, épuisé par l'effort fourni pendant l'audience, et comme visité par cette colère réprimée qui tentait maintenant de se glisser dans ses muscles, au bout de ses doigts, faisant légèrement trembler ses lèvres. Les allées et venues à travers la salle où il avait été guidé par un appariteur l'agaçait ; le sourire confiant lancé par l'avocat qui le laissait seul pour aller boire un café avec une de ses confrères, l'avait agacé ; la sentence, même à lui favorable, l'agacerait probablement. Et ce qui l'agaçait encore, c'était d'avoir dû se plier à cette procédure, d'avoir cautionné par sa présence ce cirque saturé de formalités, de phrases boursouflées et de connivences, alors que l'"affaire", au bout du compte, aurait pu se régler d'homme à homme, sans intermédiaires en robe et à bavette blanche.

Mais autre chose, par dessus tout, provoquait son agacement et, tout uniment, l'amusait : que l'"affaire" jugée, en ses formulations légales, ne traduisait que très imparfaitement les événements qui l'avaient amené ici. On lui imposait donc d'attendre, dans cette salle agitée d'un incessant remue-ménage de policiers, d'huissiers, de messieurs-mesdames les juges et de maîtres en grand apparat, l'énoncé d'une sentence qui, quelle qu'elle fût, ne correspondrait pas à la réalité ; de justice, il ne pouvait être question dans ce cas puisque entre les faits et leur récit par les hommes de Loi, il y avait discordance. Ne se considérant pas pour autant comme un menteur par omission, il se sentait victime d'une injustice plus fondamentale que l'erreur judiciaire.

L'avocat l'avait prévenu : mieux valait passer pour un fou que de mettre un doigt dans cette histoire avec laquelle, au bout du compte, il n'avait rien à voir.


*****

Brian l'avait appelé un dimanche soir ; l'anglais avait la mélancolie coutumière, les veilles de semaine. Mais ce dimanche, cela semblait plus sérieux que les accès de déprime habituels. Ils convinrent de se retrouver dans un café jouxtant la gare Saint-Lazare.

Brian arriva presque à l'heure, le teint livide et la démarche lente. Son regard était marqué d'une détermination absente, comme déjà fixée sur un objet qu'il discernait dans un futur très proche.

- Gabriel, je ne sais plus.
- Quoi ?
- Je ne sais plus comment continuer, tu vois. C'est dans ma nature de me poser ces questions, tu me connais, mais je crois que la vie m'a donné une réponse. C'est plus possible, Gabriel.
- Tu vas partir ? laisser Béa et les enfants ?
- Non, je vais arrêter.
- Tu as raison, ce travail t'épuise et...
- Je vais m'arrêter, Gaby, définitivement.

C'était la première fois que Gabriel se retrouvait confident d'un projet de suicide.

- J'imagine que ça ne sert à rien de...
- A rien. Merci, Gab.

Ils avaient déjà, par le passé, abordé le sujet, d'abord sur un plan théorique et général, puis en le centrant davantage sur le cas de Brian, et aboutissaient alors invariablement à la conclusion que la décision de se supprimer était pour ce dernier impossible à prendre : cela reviendrait à emporter l'immonde sentiment de faute - faute d'imposer son geste, et les conséquences, à Béa et aux petits - dans la tombe ; ajouter à la douleur physique inévitable du trépas, celle de la culpabilité ; figer celle-ci dans l'instant fatal, se statufier pour l'éternité comme coupable - et accessoirement, rendre du même coup ses proches coupables eux aussi...

Cette annonce de vouloir "s'arrêter" n'en surprenait que plus Gabriel, qui estimait que son ami utiliserait la déduction et l'analyse rationnelles comme dernier rempart contre les assauts de Thanatos : il faut bien que l'instinct de vie s'exprime d'une manière ou d'une autre, et jusqu'à ce soir, cela paraissait avoir fonctionné ainsi pour Brian.


- Tu vois, ce que je pourrais espérer de mieux, ce serait de mourir dans un accident ou un attentat.
- Tu me l'as déjà dit, souvent...
- Oui, mais c'est comme si, tu vois, je savais que ça allait arriver ce soir. Oui, je sens que je ne vais pas arriver vivant au bureau, que les cachets dans mon tiroir à verrou ne serviront à rien. Je crois que je vais y passer avant.

Il disait cela pour s'encourager, c'était évident. Gabriel aurait voulu ne pas avoir à respecter la décision de Brian, le tirer de cet apparent état d'hypnose morbide en se moquant de son "pressentiment", arguant qu'un attentat, un dimanche soir, dans un métro aux trois quarts vide, serait bien du temps perdu... Mais le pacte avait toujours consisté entre eux à ne pas laisser l'affection qu'ils se portaient empiéter sur leur exercice commun de la pensée rationnelle, de ses raisonnements et de leurs effets sur la vie dite quotidienne. Ainsi, jamais de jalousie, puisque la jalousie ne se pouvait analyser autrement, du point de vue rationnel, que comme une absurdité enfantine - même quand Gabriel eut cette aventure avec Béa, dont Brian se vit informé assez vite et à propos de laquelle il ne manifesta nulle gêne ou ressentiment.

- Ecoute, ça me fait chier, Gabriel, de te dire ça comme ça. Je sais que tu aurais préféré un peu plus de solennel...
- Tu as réglé les reliquats ?
- Sorry ?
- Je veux dire, pour Béa, tu as pensé à l'administratif ?
- Oui c'est fait. Et j'ai fermé tous les comptes vendredi, elle a l'argent à portée de main. Dans le tiroir à verrou. Et puis j'ai demandé à faire don de mon corps à la médecine, ils se chargent de tout, crémation et mise en urne, ça m'aurait fait chier d'engraisser les pompes funèbres.

Il parlait avec détachement, sa détermination semblait si forte qu'il pouvait évoquer ces détails sordides dans une sorte de froideur - ça ne le concernait déjà plus, il ne vivait plus que par son "projet" de mort.

- Je reprends une bière.
- Je t'accompagne.
- Tu te souviens, Les Copains ?
- Ah oui, Romain... "Que dirais-tu d'une autre bouteille de ce vin ?"
- "Je t'en dirais le goût."

Ils commandèrent deux autres bières et burent silencieusement. Puis rirent encore de Jules Romain. Evoquèrent Deleuze, dans L'Abécédaire, "Ce que recherche l'alcoolique en buvant, c'est le dernier verre". Dans quelques heures, Brian allait quitter le monde clos, ouaté, chamarré, des bons mots et des paradoxes ; il n'en semblait guère attristé, tout se passait finalement de manière si "naturelle"...

Gabriel avait quand même tenu à l'accompagner jusqu'à la rame de métro, juste pour voir, entendre les portes automatiques se refermer entre eux. Ils n'avaient rien dit en descendant les marches, pas plus en traversant la salle donnant sur les différentes lignes, pas plus en franchissant le tourniquet. Pour tenir compagnie à Brian, Gabriel prendrait l'escalier de gauche puis, une fois le métro parti, le remonterait pour accéder au passage desservant l'accès à la direction opposée.

La rame était retenue à quai, suite à un malaise de voyageur quelques stations auparavant. L'immobilisation ne dura qu'une minute, mais ayant embrassé Brian - sur une seule joue - et alors qu'il se redressait, il vit la valise.

Ce n'était pas une valise très remarquable, mais un de ces bagages qu'on dégote à des prix très bas, et d'une solidité à l'avenant, chez nombre de revendeurs peu regardants sur la qualité de leur produits. Bleue, avec des bandes grises et de grosses lettres blanches. Deux poignée - portage horizontal ou vertical. Verrouillage codé, poche à soufflet rétractable, roulettes. Le verrouillage avait été renforcé par un cadenas qui bloquait les fermetures-éclair. Rien de très notable, dans cette valise - mais elle était posée là, à côté d'un strapontin replié, couvée du regard par le voyageur assis face à elle. Un homme lui aussi banal, la quarantaine, barbu, recouvert d'un ample vêtement sombre, chaussettes blanches et tennis. Deux détails happèrent, l'espace de quelques secondes, l'attention de Gabriel : ses mains, son regard. Mains qui se tordaient l'une l'autre et qu'on devinait moites ; regard fixe et dénué d'expression qui, contrairement à ce qu'il lui avait semblé, ne visait pas la valise mais un point situé juste au-dessus : une femme très pâle dont le visage se teintait d'un masque de grossesse disgracieux. Les lèvres de l'homme remuaient imperceptiblement.

Gabriel le quitta des yeux, et se tourna à nouveau vers son ami.

- Ne dis rien.

Dans la voix de Brian, un ordre, une supplique, un constat - interrompu par le couinement acide annonçant la fermeture des portes. Gabriel marcha à reculons, et se retrouva sur le quai ; les portes masquaient à présent la valise.

Un regret lui traversa alors l'esprit - avoir laissé le spectacle d'un barbu revenant de la Mecque et confit en dévotions muettes troubler les derniers instants qu'il passait avec l'Anglais. Mais quand le métro s'ébranla, il reprit conscience.


*****


L'alternative lui apparaissait dans toute sa simplicité : ou bien l'inconnu à la valise était effectivement un voyageur anodin, et Brian mourrait au bureau, dans des circonstances que leur pacte interdisait d'imaginer ; ou bien le barbu accomplissait en ce moment même un attentat-suicide à la valise piégée, et l'Anglais périrait, probablement sur le coup, lors de l'explosion. On pouvait toujours espérer, dans le premier cas, que Brian fût pris d'un accès de "vitalité" susceptible de le détourner de son projet ; dans le second, il n'y avait rien d'autre à attendre qu'un dérèglement du mécanisme détonateur. Sans pouvoir s'en rendre raison, Gabriel penchait plutôt pour la seconde hypothèse, partagé entre l'horreur de circonstance à l'idée des corps déchiquetés, des destins interrompus - cette femme enceinte ! -, l'absurdité et la vacuité de cette violence et la satisfaction calme d'un accomplissement, celle de voir le souhait le plus intime de son ami se réaliser à son insu - car aurait-il seulement le temps de prendre conscience de ce qui, au bout du compte, lui assurerait enfin le bonheur : cette mort dont il ne portait pas la responsabilité, ce suicide par procuration dont il n'aurait même pas chargé un autre que lui d'être le bras ?

Il remonta les escaliers.

La décision fut prise peu avant le premier arrêt que devait effectuer la rame qu'il venait d'emprunter. Enfin, "décision"... La seule chose qu'il avait décidée, c'était de ne pas résister à l'impulsion de tirer le signal d'alarme. Aurait-il attendu quelques secondes de plus que, probablement, il ne se serait jamais retrouvé dans ce tribunal.

Tout s'était enchaîné très vite. La voix du conducteur dans le haut-parleur. Le silence. La même voix dans le microphone, sous la manette rouge. Les râleries émises par cette voix, on croyait avoir affaire à un plaisantin. Le silence. Le redémarrage du métro après quelques minutes d'arrêt et d'autres râleries. La patrouille de contrôleurs sur le quai. Qui a sonné l'alarme ? Son geste discret mais assuré pour se désigner. Pourquoi ? Ses explications embrouillées. Où ça ? La bombe ? dans cette rame ? Non, dans celle qui vient de partir vers Asnières. Tu te fous de ma gueule ? La colère qui monte. Le premier coup porté au visage du contrôleur qui l'avait pris à partie. L'empoignade. Collé au mur. Les flics. Les coups encore. Le ceinturage - le gros flic sentait le sel et la graisse de kébab. Le poste de police. La garde à vue en cellule de dégrisement malgré un alcootest à peine positif. La colère, inutile ici. La camisole suivra, s'était-il dit avant de sombrer enfin, épuisé, vidé par l'effort. Il n'y avait eu aucun appel d'urgence au poste pendant son interrogatoire et sa fouille. Brian agonisait, inconscient, dans son bureau. Lui, serait poursuivi pour outrages et violences envers représentant des forces de l'ordre, et quelques charges annexes. La première chose entendue au réveil : "Le coup de la bombe, c'est pas souvent en ce moment... / Ouais, surtout dans une autre rame !" Rires enroués.

Un bilan psychiatrique négatif acheva de le faire considérer comme un très mauvais farceur doublé d'un affabulateur au tempérament agressif incontrôlé.


*****


L'avocat revint à lui, l'air guilleret.

- Ils vont bientôt reprendre, je pense.
- Comment le savez-vous ?

Maître parut décontenancé par la question.

- Eh bien, ça fait presque 25 minutes, c'est le temps moyen pour...
- "Le temps moyen"...
- Je vous conseille de faire quelques pas avant d'y retourner, sortez prendre l'air dans la cour.
- Je reste ici.
- Comme vous voudrez.

Vu que son client ne ferait pas appel, l'avocat semblait compter impatiemment les secondes qui le séparaient encore du moment où il n'aurait plus à le croiser.

Quand Gabriel avait appelé, vers 11h30, au bureau, il n'était pas tombé, comme à l'habitude, sur la secrétaire. L'associé de Brian lui répondit - elle a pris des RTT, en état de choc, c'est elle qui a trouvé le corps, de l'urine plein la moquette, condoléances. Tout s'était effectivement passé de manière naturelle.

Dans le bus, il se remémora la sentence... "Après délibérations, la Cour condamne mr... à une peine de deux ans de prison avec sursis avec obligation de soins, et une amende" beaucoup trop élevée pour être payée sur le champ. A moins que Béa... Une fois rentré chez lui, il prépara du café et se plongea pendant plusieurs heures dans le dernier ouvrage de Brian, un essai de vulgarisation économique qui avait su, lors de sa parution, trouver son lectorat.


*****



Quinze jours plus tard on réactiva le plan "Vigi-Pirate", la cote d'alerte fut placé d'office au rouge, et un deuil national fut décrété.

La rame était pleine, chose inhabituelle un dimanche soir à 22 heures, mais le trafic ayant été interrompu suite au malaise d'un voyageur à Invalides, les usagers s'étaient accumulés sur le quai de la station Saint-Lazare. Le mode de fabrication de la bombe relevait de l'artisanat. Un des rescapés encore en état de parler évoqua une valise bleue et grise, un homme en complet, une femme enceinte. Il s'avéra assez vite que l'homme victime d'un évanouissement à Invalides participait à l'attentat : l'autopsie devait en effet révéler l'absorbtion d'une dose massive d'Aviocardyl une heure environ avant l'explosion. Le massacre avait dû être soigneusement préparé, longuement répété in situ, minuté.

En refermant le journal, Gabriel se demanda si l'homme à l'ample vêtement sombre était celui qui avait péri ce soir-là, ou s'il n'avait fait que jouer la "doublure".


18.3.09

non pas encore un logo(dia)ry et si pourtant tu as besoin de t'épancher va savoir aujourd'hui donc ce soir tu es rentré ath/ome en essayant d'éviter les vomissures de bière sur le trottoir les cadavres de bouteilles de bières en morceaux tessons on dit sur le trottoir les filles sur le trottoir ça non tu inventes oui/c'est ça d'habiter près d'un stade et pas près d'une gare ou d'un bois mais qui donc déjà t'avait parlé d'un concert de radiohead et de sa sensation de les voir jouer chacun leur partie sans communiquer avec les autres si ce n'est par écran de contrôle ou retour-casque ouais ils se la jouent pas genre trip fusion genre osmose genre tous ensemble ouais ouais ouais chacun fait son taff elle avait dit mais qui donc ? ce ne serait pas cette fille formidable musicienne jusqu'au bout de ses ongles de guitariste et qui vivait parfois en faisant les 3/8 à l'usine non mais ça me fait du bien de penser à elle qui t'a fait découvrir johana newsom exact je lui dois une bonne partie de mes joies en ce bas-monde rien qu'avec deux cd gravés copiés piratés je fus un homme heureux des oreilles/pourquoi tu es parti sur radiohead parce que portishead en ce moment tu rythmes tes écarts entre les vomissures de bière avec strangers de portishead oui version public avec le grand orchestre et les bip et cette ligne de batterie simple et tellement scintillante et c'est l'intro la plus réussie au monde enfin la charnière entre l'intro et le début du chant si si écoute ce passage du binaire au chaloupé du syncopé au souple ça te mettrait en lévitation une armée d'éléphants en blouson cuir clouté/de militants CPT armés à la fois pour la pêche la chasse et la tradition/d'électeurs sarkozystes/de potentats du caïdat/et radiohead dont deux de ses membres ont enregistré au caméscope une version-hommage en chambre d'hôtel de the rip extrait de third visible sur youyoutube/du chinois youyou/arrête c'est sérieux là on n'est pas là pour se gondoler/du latin gondola et coetera mais.pourquoi penses-tu à cette fille formidable ? tu as besoin qu'on te berce qu'on te chante sussurément du johana newsom des histoires de perles et de singes ? p'têt'bien oui en fait pour sûr que cette fille formidable se change en beth gibbons et vienne te dire couche-toi tôt parce que demain je fais les 3/8 ? ça serait bien oui je viens de réaliser que les logo(dia)ry auront sûrement un point à leur fin mais jamais de majuscule à leur début comme qui dirait le nom propre ne le reste jamais longtemps ouais tu l'as déjà faite celle-là bis repetita non placent ça y est on peut y aller ? j'fais les 3/8 moi

17.3.09

viens par là je voudrais que tu me pondes/une analyse freudo-freudienne de la perle comme lapsus impliquant de chercher dans les strates pré-, sur- et anté-moïques de l'élève le sens caché de la phrase absurde viens par là/je voudrais que tu me pondes une analyse structurelle de la perle au terme de laquelle on conclurait que ces modes du dire rien-dire dire-rien sont révélateurs d'un rien-à-dire et comme rien/vient du latin res qui veut dire chose exemple ma chose mon rien repris au dix-huitième siècle par exemple mon doux objet pour dire mon aimé/e.mais ça ne veut rien dire tout ça tout ça et machin machin sont dans un bateau une gondole du latin gondola petit bateau ? oui ou une gabarre du provençal gabara une pinasse du français pin une péniche de l'espagnol pinaza de pino pin également une felouque de l'espagnol faluca de l'arabe faluwa un chaland du grec byzantin khelandion un youyou du chinois youyou une gondole du latin gondola. La perle qui dit Seule la somme est navigable c'est toi qui l'as inventée ? non juré mouché elle est arrivée là où j'aurais pu l'attendre/d'ailleurs tu as oublié les guillemets fermants voilà/il fut un temps où tu naviguais sur la somme du latin summa écrite par th d'aq à présent tu surfes sur le net et tu accroches des photos prises dans la baie de somme l'essentiel/étant d'avoir de quoi payer l'addition qu'on appelle la douloureuse du latin dolor quand elle est salée/décidément et au bout du compte qu'est-ce qu'une addition ? une liste de chiffres qui se résume en un seul de ses termes séparé des autres par un trait horizontal le jour où tu trouveras le mot qui fait la somme le mot qui résume tous les autres tu pourras piquer un somme du latin somnus un jour/ou peut-être une nuit tu as rêvé que le texte sur lequel tu travaillais t'apparaissait sur une seule et immense ligne et que sous chaque mot de ce texte se formait une colonne de mots associés à lui selon des liens variés et tu te rendais compte que chaque colonne construite par associations comportait tous les mots de ta langue autant de mots dans le texte autant de manières d'ordonner tous les mots de la langue tu t'es réveillé en sueur avec l'angoisse de ne pas y arriver de ne pas en venir à bout tu t'es senti petit devant l'infinie combinatoire alors depuis pour retrouver le sommeil tu cherches le mot somme ? en fait nous sommes bien peu de choses mais tout serait plus simple s'il existait réellement des emblèmes tu veux dire/des corps symboles ? oui malheureusement chaque corps n'est que lui-même aucun ne fait somme et il y aura toujours des flics et des préfets pour faire démonter la tour eiffel 300 mètres on avait dit ni plus ni moins encore buzzatti oui.si tu savais comme c'est bon de lire des histoires bouclées frisées ? non terminées achevées c'est le meilleur moyen de trouver le sommeil car pendant l'insomnie se racontent des histoires interminables se jouent des intrigues circulaires ou infinies/une nouvelle de buzzatti c'est une perle début-milieu-fin c'est rond mais fini donc ça ouvre au clos/mieux que stilnox qui interrompt buzzatti termine te donne même la sensation d'avoir toi aussi fini/ta journée ton histoire provisoire te souviens-tu/avoir jamais connu ça ?

16.3.09

Bienvenue en Bretagne


ta mère tu le sais était bretonne. Mais plutôt que d'en rajouter une couche, livrons-nous céans à un exercice d'ergothérapie consistant à enfiler des perles : en 1998, les lycéens passaient déjà le bac ; en 1998, dans l'académie Créteil-Paris-Versailles, le sujet de géographie portait sur la Bretagne ; en 1998, un quotidien national de droite s'accompagnant le week-end d'un supplément magazine publiait, quelques mois après les épreuves, une sélection de perles cueillies au fil des copies corrigées - non sans accompagner droitement cette sélection d'un commentaire droitier sur le pourcentage d'élèves à avoir, malgré tout, obtenu le diplôme... Parmi ces perles :

- "Les deux régions de la Bretagne sont la Champagne humide et la Champagne pouilleuse. La Champagne humide est un pays d'étangs et de marées."

- "Notons les pruneaux d'Agen, dont la renommée est mondiale."

- "La Bretagne vote traditionnellement à droite car elle est tournée vers la mer."

- "La Bretagne est de forme triangulaire, par conséquent peu élevée."

- "Les vieilles femmes pratiquent la fabrication du beurre."

- "La Bretagne est aussi une région de poissons fumés."

- "Les côtes bretonnes sont le lieu où sont cachés les trésors des pirates et les Bretons qui sont cupides et avares se battent pour ces trésors."

- "Les Bretons se reposent six mois de l'année."

- "Les côtes bretonnes sont situées au niveau de la mer."

- "La Bretagne forme un bras qui donne dans la Manche."

- "La Bretagne se distingue du reste de la France par sa position au bord de la mer."

- "Les vaches, à cause de la proximité de la mer, donnent du lait salé dont on fait le délicieux beurre breton de pré salé."

- "Les montagnes ont été usées par les invasions des Maures."

- "L'érosion a créé des curiosités telles que menhirs et dolmens."

- "La Bretagne est un pays d'élevage : bovins, oursins."

- "La culture du coton est assez peu développée."

- "La population bretonne n'est actuellement plus rénovée."

- "Le climat chaud permet la culture de la vigne, la Bretagne est en effet célèbre pour le cidre."

- "La Bretagne, selon les Anciens, se serait détachée de l'Amérique il y a plusieurs millions d'années."

- "Dans ce pays, les sabots sont de rigueur."

- "Physiquement, la Bretagne est rattachée à la France par un lien très fragile."

- "Son climat connaît des précipitations telles que la pluie."

- "Les vaches bretonnes produisent du lait."

- "La situation figée de la Bretagne s'explique par son passé celtique."

- "La Bretagne a une structure très originale, de nature physique due aux humains qui la peuplent."

- "La pêche n'est plus au stade artisanal comme chez nous en France."

- "Le massif hercynien a été saboté par l'érosion."

- "Les grands ports bretons sont le Pas-de-Calais qui nous permet d'aller en Angleterre, le Finistère, le Havre. Seule la Somme est navigable.

- "La population de Bretagne diminue parce que tous les pêcheurs meurent en mer."

- "Les problèmes bretons ne sont pas seulement du domaine de la fatalité mais aussi de l'imbécillité des gens qui sillonnent les mers."

- "En se promenant, on peut voir les fameuses femmes bretonnes avec leur chapeau en dentelle et des calvaires qui prouvent que nous sommes dans une région moyen-âgeuse et calcaire."

- "La population bretonne ne se compose que de quelques fermiers."

- "Le bocage breton est formé de haies de cyprès qui protègent les cultures du mistral."

- "La Bretagne est une région pêchière par excellence."


En 1998, je m'étonnais d'avoir, deux ans plus tôt, obtenu une très bonne note au baccalauréat d'histoire sur un sujet portant sur l'Indochine, alors que j'avais évoqué les bombes au "népalm" (concaténation de "napalm" et de "Népal"), ainsi que "Jean Saintony" (confusion entre le nom réel du bâtard sus-médit, "Sainteny", et la marque d'un déodorant, cette année-là fortement publicisé, "Sintony", qui "parfum[ait] partout").

Morale de l'histoire : si tu ranges des perles dans tes mots-valises, tu passes la douane sans rien déclarer.
Autre morale possible : ce n'est pas parce qu'il y a erreur sur le nom qu'il n'y a erreur sur personne.

Prolixe en anecdotes, un professeur de philosophie dépêché à la correction du baccalauréat 1998, année faste s'il en fut, nous rapporta - nous étions 15 à table et l'eau ne coulait que sous les ponts -, à propos d'un sujet traitant de l'irrationnel, l'aphorisme suivant : "Les fantômes, on sait pas mais on sait jamais". Lequel rappelle le plus convenu mais toujours savoureux "Moi j'aime mais faut aimer", en apportant toutefois une dose de scepticisme que le globeur ci-globant préfère de loin à la tyrannie égo-esthético-centriste du second.

Maintenant, quel écriveur un peu honnête n'avouerait pas rêver de produire un jour de telles décharges poétiques ? "La Bretagne est de forme triangulaire, par conséquent peu élevée", ou "En se promenant, on peut voir les fameuses femmes bretonnes avec leur chapeau en dentelle et des calvaires qui prouvent que nous sommes dans une région moyenâgeuse et calcaire", ou encore "La population de Bretagne diminue parce que tous les pêcheurs meurent en mer"... Franchement, comparé à Desnos... En plus, ce fut écrit, selon toute probabilité, dans l'humilité (celle de l'aspirant bachelier), la sobriété et l'abstinence psychotropiques (98, enfin...), l'urgence (2 heures pour l'histoire, 2 pour la géo) ; pas comme ces branleurs surréalistes affalés sur leur canapé de hashishins, morguant la plèbe et se mettant à trois ou quatre pour prendre leur temps d'aligner cinq mots...

Plus qu'une amibe, plus qu'un plat longuement mijoté, je voudrais être une huître.ta mère tu le sais était bretonne


Résister, c'est créer ; créer c'est résister

Marie-Georges, du blog "Bouche de là", a fait un lien vers ceci :

http://detoutetderiensurtoutderiendailleurs.blogspot.com/2009/03/un-anniversaire-passe-inapercu.html

Cela mérite une oreille et un oeil attentifs...

15.3.09

tu t'es endormi sur quoi hier hier j'ai fini la pire nouvelle que j'ai jamais écrite vite cache-la au fond du carton à vaisselle des grands jours avec les/torchons brodés les/soucoupes de porcelaine les/cuillers à café en nacre le/service à thé grains de riz/sinon tu as lu la nouvelle de buzzatti un homme rentre à la maison trouve sa femme affairée en cuisine croit la surprendre alors qu'elle glisse du poison sous les cerises confites des gâteaux qu'il aime tant elle pourtant si aimante si attentionnée c'est inimaginable ben si justement ce n'est que cela oui.comment fais-tu ? je fais très bien merci et toi de même ça se termine comment ? il reste deux pages à lire poison pas poison c'est une très bonne nouvelle mais pas aussi drôle que celle où l'homme le plus puissant du monde meurt chaque mardi à minuit ah oui et de gaulle qui tous les lundis fait ses adieux à la nation à l'univers et se réveille toujours vivant au matin du mercredi tu as failli/te pisser dessus en lisant cela.mais on ne peut pas se réveiller mort ça dépend comme on dit passé un certain âge si on se réveille sans avoir mal quelque part c'est qu'on est mort tu vois bien que c'est possible cqfd/dommage que montaigne ne soit pas le nom d'un rugbyman on aurait pris une moins grosse branlée aujourd'hui tu as des amis amateurs de rugby exactly/qu'est-ce qu'on a comme jeux de mots éculés en stock sur le sujet ? euh attends/l'écrit vain/lis tes ratures/letter-litter/les cris tuent re [même si on ne meurt qu'une fois]/sous l'eau graphe/la victoire du ça mot trace/en fait la fascination pour l'écrit en tant que texte en tant qu'achevé en tant que maîtrisé et le rapport de cette fascination avec la fécalité c'est quoi au juste ? je ne sais pas au juste mais tu ne t'es jamais dit devant un écrit de toi ou d'un autre faut pas y toucher ? si eh bien ta mère elle te disait quoi devant le pot rempli ou la couche sale ? la même chose du coup lecteur ou correcteur tu demeures hébété stupide devant ton écran ta feuille ta page de livre ton papier journal y a rien à redire rien à changer faut pas y toucher/tu veux dire qu'un écrivain ce serait/je ne veux rien dire mais quand même ce serait celui qui passe outre l'interdit la fascination et trouve quelque chose à redire et prends sa plume son stylo ses doigts son roseau son grattoir son stylet et touche à l'intouchable en quelque sorte/oui écrire c'est ne pas avoir la religion fécale comme tu y vas de dire ce qu'écrire est tu n'es même pas/payé tu devrais plutôt/la lâcheté consistant à écrire comme ça en passant mais d'une lâcheté on tire parfois les clés d'une intelligence en passant ? oui il ne faut surtout pas que ça ait l'air achevé fignolé léché t'es vraiment dégueulasse.c'est quel russe déjà qui notait dans son journal l'aspect de ses étrons peu.importe il a été c'est l'essentiel/t'es quand même pas en train de nous dire que tu ne tiens pas un glob littéraire mais un glob d'écrivain ? arrête je vais me pisser dessus c'est encore plus drôle que de gaulle/le format du blog et le mode de lecture du blog aident à ne pas chercher le chef-d'oeuvre on lit un blog toujours en passant dessus au-dessus ce n'est pas destiné à rester comme toutes les choses sur lesquelles on sait qu'on peut retomber.donc pas d'écrivain raté que des écriveurs réussis utterly good indead/oui mais il y a les commentaires ces petits étronnets laissés en cadeau ouaip commères commentaires comme en terre le commentaire ça fait de l'engrais pour le glob ? oui ce qui va avec le post s'appelle le com-post ou pour le dire autrement le commentaire sert à composter son billet/on sent que c'est dimanche/ah au fait c'était vraiment du poison elle s'est débrouillée pour qu'il mange les gâteaux tous les gâteaux et à genoux devant elle en plus la mort était un paradis puisqu'elle venait d'elle elles sont trop fortes

13.3.09

Reine du silence



Tu prends des poses.
J'ai beau essayer de le voir autrement, cette impression revient toujours : tu prends des poses, comme si des paparazzi te suivaient continûment pour surprendre tes moments d'abandon ; comme si tu étais redevable à quelqu'un de ton être, ton apparaître, ton mouvoir.
Devant moi aussi, et même dans l'intimité de la chambre, tu prends ces poses qui, ailleurs, accrochent le regard des publics que tu croises.

Comme si tu ne devais rien au hasard, tu contrôles et arranges les axes, les vecteurs que forment tes bras, tes épaules, ton cou, ta poitrine - jusqu'à la manière dont tes seins se relâchent sous la blouse. Tu inventes un mouvement parallèle entre l'arête de ton nez et la ligne de ton avant-bras, tu instaures un rigoureux angle droit entre ton menton et le poignet sur lequel il repose.

Toi, tu ne te reposes jamais. Tu voudrais en fait ne plus avoir à dormir, cette corvée dont tu ne maîtrises que les heures extrêmes - le coucher et le lever. Mais tu as trouvé un moyen de t'enrober des draps, qui pourrait faire croire que tu mimes le sommeil et que tu poses pour un peintre, un photographe : c'est tout de même pour toi une satisfaction.
Enfant perpétuelle, tu joues à la statue. Si un écrivain te demandait de poser pour lui, je crois bien que tu accepterais ; ce pourrait être Condillac, biographe statuaire, ce pourrait être Cécile Saint-Laurent, Joyce Oats, peu importe : sa patience justifierait ton application.

Tu passes ton temps à rembourser cette dette, dont nous sommes presque tous affligés, d'avoir des yeux ; car tu l'as bien compris, même si tu ne le formules pas en ces termes : le regard nous oblige. Tu t'arranges d'ailleurs toujours pour que tes yeux ne voient pas qui te regarde. Il y en a encore qui interprètent ce tic comme un défaut de franchise, de loyauté ou de courage, mais c'est juste l'impossibilité profonde de soutenir un regard. Alors, plutôt que de fixer quelqu'un dans le vide, tu regardes ailleurs et crée un nouveau point de fuite.

Tu as horreur des auto-portraits.

C'est pour cela que tu m'as demandé par courrier d'écrire cet article à ta place. Ayant eu vent de mon éviction, tu m'imaginais désoeuvré, disponible pour dresser, à l'issue de quatre ou cinq entretiens, cette "biographie expresse" que te demandait le magazine concurrent de celui qui venait de me remercier. Tu appréciais, écrivais-tu, ma manière de procéder dans les descriptions. L'article, tu te contenteras de le signer.
Pendant que je termine le texte, tu inspectes ma bibliothèque, les objets posés sur les meubles et les rayonnages, puis tu retournes t'asseoir en amazone sur le fauteuil crème - où tu prends la pose.

De temps à autre, puisque je dois en être censé, je lève les yeux vers toi ; je ne te connaissais que de nom, ayant depuis longtemps cessé de fréquenter les cinémas, et ignorais tout du milieu dans lequel tu évolues. Il a fallu que tu m'expliques par le menu les castings, la rareté des rôles, les combines, les rivalités, les amitiés intéressées, les moqueries et les sous-entendus : je savais tout cela par les articles de la presse à sensations auxquels je n'arrive jamais à échapper complètement, mais il y a quelque chose de saisissant dans la manière dont tu évoques ces manigances ; elles acquièrent par ton récit une réalité auquel aucun ragot ne saurait prétendre. D'ailleurs, ton interprète rougit parfois de ton absence de gêne à citer tel nom connu, tel producteur à la réputation pourtant assise, comme si elle avait honte, en te traduisant, de se faire la complice de tes indiscrétions.

Tu t'es proposée à mes mains dès le deuxième entretien. Aujourd'hui, c'est notre dernier rendez-vous, et rien ne justifie que l'on se revoie plus tard. Je tire l'article, le glisse dans une enveloppe et te le remets pour que tu puisses le relire à tête reposée. L'interprète demande, comme à l'habitude, si elle doit nous laisser seuls un moment. Tu lui réponds visiblement que non, aujourd'hui tu vas partir avec elle. Je te reverrai en photo, celle qui accompagnera le "portrait-express", peut-être aussi dans un des films, trop peu nombreux à ton goût, où tu apparaitras. Sur le pas de la porte, tu m'adresses un dernier signe de la main, que l'interprète choisit de ne pas traduire.

(d'après une photo de Henry Clarke)


11.3.09

Casella



S'il faut pourtant - ainsi le refusa

celui qui abolit sa langue et s'en perdit -

quitter le flot puis,

à s'y retourner,

s'aveugler de la nef qui célèbre la fuite -

car tout départ revient

à passer la mer ouverte -

alors l'ombre, la voix seules,

se refusant aux deux saluts

de l'amante accolade et des marches divines,

laisseront l'onde vaciller de l'initial

qui n'est caresse

mais vibrure ravissante.

"laisser le chant et fuir vers la côte

comme celui qui va et ne sait où tend sa course"

c'est l'arrêt du vieillard :

sombrer, se saborder, toucher le retour -

l'identique abîme.
t'es au logis ça t'assomme yes sir casella c'est un copain de dante mais mort un super pote faut croire qu'ils en ont vécu tous les deux casella c'est un musicien un chanteur et dante le croise dans la divine comédie ça donne lieu à un beau passage alors je cite en italien ? non trop long à l'époque je me farcissais de la somme théologique de thom d'aq tu sais l'inventeur de la lecture silencieuse avant on lisait toujours à haute voix c'est thom d'aq qui a eu l'idée de lire dans sa tête comme disent les nenfants t'es sûr ? c'est pas plutôt st aug ? je ne sais plus/casella a mis en musique une canzone de dante amor che nella mente mi raggiona amour qui raisonne en mon coeur/et la photo tu l'as sortie du carton avec ton grand beau poème qui hermétise la poésie.c'est vacuum cleaner je dis ça pour versionscélestes qui vient de s'abonner ici et que je salue BONJOUR MONSIEUR DAME bienvenue bonne lecture n'oubliez pas de jeter un oeil sur la rubrique doctor gradus ad parnassum pourquoi les escaliers ? parce que le premier blog que tu as lu en février était carnets d'hermès et le premier article que tu as lu dans carnets d'hermès était celui sur le portrait du philosophe avec cet escalier qui cet escalier dont/tu peux développer sur la poésie comme vacuum cleaner ? une autre fois présentement je dois commenter la photo vous ferez de cette photo un commentaire composé vous pourrez par exemple mettre en évidence les procédés redimensionnage travail sur les couleurs le contraste et l'intensité qui contribuent à rendre cette photo incompréhensible/c'est pris au bord de l'eau salée dans la baie de somme le crocus appela cela fantômes des sables/quel rapport avec thom d'aq une vraie bête de somme celui-là un athlète spirituel comme dit ignace de loyo c'est charmant ce petit petit mot/la rencontre entre dante et casella a lieu sur une plage de l'antépurgatoire/est-ce que tu crois qu'ils ont vu des fantômes des sables ? je ne sais pas ce n'est pas dit dans la chanson est-ce que tu crois que paolo conte pense à dante quand il chante la comédie d'un jour la comédie de ta vie un kazoo dans la bouche ? je ne sais pas mais dante voyait dans le provençal dans la langue dite d'oc des parentés avec l'italien c'est pour ça que paolo conte chante la comédie en français probablement pas/tu parleras un jour du blog de miss C ? le plus beau blog que tu aies lu.il y a aussi le voyage immobile de cathbleu ce n'est pas un blog.c'est une euvreudar le blog de miss C aussi le mieux ÉCRIT que tu aies lu bon il y a des concurrents sérieux mais bref quelqu'un a montré un jour que.la question du corps est centrale d'un point de vue métalogique dans la comédie de dante car sa formulation en termes christologiques induit une conception du corps poétique comme instrument du verbe avec un grand X qui suppose un vide préalable que l'on peut structurellement comparer au rapt prophétique jésus dépassant tout cela dans l'incarnation et annonçant rimbaud et les avions à réaction c'était juste le pitch.l'abstract.c'est ça le vacuum cleaner ? à peu près et voilà pourquoi casella se marre quand dante essaye de le prendre à bras le corps n'étant que l'ombre de lui même sinon ça va ? grippé et agacé ça se sent tu as parlé/de la baie de somme hier soir et ça t'a grippé oui car nous étions dehors et le vent soufflait/ça t'a agacé oui car nous étions tous un peu ivres et j'ai lâché le flow quant à ma life j'en ai trop dit et pas assez ça m'agace de narrer mon existence le crocus disait/ce que tu racontes de ton existence te sert d'écran de fumée pour cacher autre chose cela n'implique pas que tu mentes ? non je comprends souffler le vrai pour obscurcir le réel en un sens ça a sa pertinence c'est probablement pour ça que je ne finis jamais mes histoires qu'elles tombent à plat ou tournent en rond.faute d'avoir entendu l'histoire du début ? ok t'as gagné tu mettras en ligne macabracadabra ? on verra

9.3.09

JD/LZ vs JSB


Zelenka : http://www.deezer.com/track/2689551

Bach (pour mémoire... le thème commence à 0'37) : http://www.deezer.com/track/2741710

(Désolé, madame Zoridae, je n'arrive ni à import le embeded player pour part ma playlist, ni à trouver un Zelenka présentable sur youyou...)



wesh t'attends les comm' comme un chacal ou quoi t'es trop nase va jouer au boomerang du calme.c'est bien ça que tu veux qu'on te lise qu'on s'abonne tu fais le fil du fils pour ta pub/non/pourquoi alors ? parce qu'ici est le seul lieu où ça peut être écrit-lu c'est tout pas lu pas grave l'essentiel est que ça soit/lisible.le problème est l'essentiel ? exactement mais sinon tu fais quoi dans la vie ? je marche/sans cane ? exactement c'est récent le glob pas une cane ? mon oeil le glob fonctionne comme une walking bass tu aimes ce mot ? oui.tu es retourné à l'église du chat perché il y avait 110 personnes un peu plus que le soir où tu as entendu celle qui te cite devant le juge aux affaires familiales jouer du JSB en trio lol jamais.tu n'avais entendu cet instrument ce bout de bois percé sonner ainsi exactement/et tu en as profité pour acheter au vide-grenier une bouilloire électrique/50 cents/parce qu'il va falloir 2 bouilloires 2 chaînes avec prise usb 2 lits 2 logements pour ranger les bouilloires les chaînes usb et les lits finalement/le divorce ce n'est guère écologique c'est un luxe de libéral de capitaliste/exactement si MESDAMES ET MESSIEURS vous militez pour la décroissance contre la croissance si vous êtes objecteurs de croissance ne divorcez pas car le divorce détruit la planète tout ces papiers envoyés à fournir tous ces dossiers et incite à la consommation toutes ces bouilloires/pourtant on dit consommer le mariage mais quand tout est consumé on consomme des bouilloires/ce n'est pas parce que/l'eau est chaude qu'elle éteint mieux les incendies.exactement mais aussi un porte-monnaie/2 euros/en cuir de mouton véritable pour ranger les biftons accumulés grâce aux activités rémunératrices car tu vas devoir payer la pension alimentaire/la pension de famille après la vieille tension des familles fais gaffe va en falloir des biftons va falloir être rémunérativement actif sinon ça va ? oui juste fatigué l'impression de ne pas arrêter/de lire des citations est-ce que tu crois que l'écriture est un sentiment très intense un attachement englobant la tendresse et l'attirance physique éprouver de l'écriture pour quelqu'un c'est une belle histoire d'écriture fem.plur. dans la langue littéraire les écritures enfantines/est-ce que tu crois que l'écriture est un goût très marqué une passion pour quelque chose l'écriture des pierres des bateaux est-ce que tu crois que l'écriture blanche est un poisson herbivore originaire de chine importé en europe pour nettoyer les voies d'eau/salée ou non salées ? est-ce que tu crois que l'écriture désigne en suisse les dernières gouttes de vin/je ne sais pas/est-ce que tu crois que l'écriture a pour autres noms affection inclination penchant flamme idylle écriturette aventure caprice flirt passade béguin engouement faible intérêt érotisme sexualité baise chose partie de jambes en l'air relation liaison mariage union dévotion culte adoration vénération/je ne sais pas/crois-tu qu'écrire se dit aussi coïter copuler s'accoupler forniquer baiser coucher s'envoyer en l'air se faire se taper jouir des faveurs de prendre posséder enfiler niquer quéner tringler/je ne sais pas/bon le trafic des enfants albinos en afrique les réseaux par où transitent les bras et les jambes d'enfants albinos africains comme on faisait ici avec les reliques de saints médiévales sauf qu'on ne tuait pas les saints pour les démembrer et les revendre pièce par pièce paraît que là-bas les enfants albinos seraient considérés là-bas très loin d'ici comme dépositaires de pouvoirs magiques si mon fils se fait tuer la police m'accusera de l'avoir vendu pour me faire de l'argent et toi tu continues à te branler sur ton larousse sur ton dico des synonymes larousse aussi ton dico de citations/je sais/d'accord est-ce que tu crois qu'écrire c'est regarder ensemble dans la même direction/je ne sais pas/est-ce que tu crois que l'écriture c'est comme le bruit de la neige sous tes pas il faut se baisser pour en profiter pleinement/je ne sais pas/est-ce que tu crois qu'écrire à perdre la raison écrire à ne savoir que dire/je ne sais pas/est-ce que tu crois que l'écriture c'est comme une cigarette ça flambe comme une allumette/je ne sais pas/est-ce que tu crois qu'écrire aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain/je ne sais pas/est-ce que tu crois que tu as lu l'écriture au temps du choléra/je ne sais pas/est-ce que tu crois comme johnny qu'écriture rime avec tujurs/je ne sais pas/est-ce que tu crois que la raison n'est pas ce qui guide l'écriture/je ne sais pas/est-ce que tu crois que l'écriture propre ne le reste jamais longtemps/je ne sais pas/est-ce que tu crois qu'écriture gloire et beauté/je ne sais pas/est-ce que tu crois que c'est l'écriture qui fait pâlir frémir rougir à sa vue/je ne sais pas/est-ce que tu crois avoir déjà pris une bière au sainte écriture près du père lachaise/je ne sais pas/est-ce que tu crois comme sartre que le regard du tiers détruit l'écriture/je ne sais pas/est-ce que tu crois que ô mon écriture ma belle ma tendre ma merveilleuse écriture/je ne sais pas/est-ce que tu crois que tu écris la salade d'endives et de noix/je ne sais pas/est-ce que tu crois que tu l'écris encore/je ne sais pas/est-ce que tu crois qu'elle ne t'écrit vraiment plus/je ne sais pas/est-ce que tu crois que l'écriture est un danger devenu ennuyeux/je ne sais pas/est-ce que tu crois qu'il y a une différence entre l'écriture-passion et l'écriture-travail/je ne sais pas/est-ce que tu crois que mon coeur te dit je t'écris/je ne sais pas/est-ce que tu crois qu'il faut comme framboise distinguer faire l'écriture et faire du sexe/je ne sais pas/est-ce que tu crois que pour écrire les autres il faut d'abord s'écrire soi-même/je ne sais pas/est-ce que tu crois que l'origine précise de la représentation de l'écriture en jeune enfant ailé demeure mystérieuse/je ne sais pas/est-ce que tu crois qu'un jour l'écriture et la vérité ont réellement dialogué comme le rapporte marivaux/je ne sais pas/est-ce que tu crois qu'il y a une pulsion d'écriture et une pulsion de mort/je ne sais pas/est-ce que tu crois que tu es en train de remplacer l'écriture par l'écriture/je ne sais pas/est-ce que tu crois que tu es tombé écriveux samedi/je ne sais pas/est-ce que tu crois que tu es encore capable d'écrire/je ne sais pas/en fait tu ne sais rien.n'oublie pas à qui tu parles

7.3.09

Soir de finale

Elle ne sait pas encore ce qu'elle va préparer pour le dîner. C'est sans importance, puisqu'il mange très peu le soir, mais ça la préoccupe, comme un souci qui lui revient de temps à autre à l'esprit pour rythmer le trajet du retour - Charles de Gaulle-Europe-Place de Clichy-Barbès. Différents menus, exotiques ou fleurant leur terroir, se succèdent, images fumantes, colorées, appétissantes. Elle disposera d'à peine 30 minutes pour faire les courses en arrivant ; ce soir, les magasins ferment tôt : un match comme ça, on ne le rate pas - d'ailleurs ils mangeront ce qu'elle aura concocté devant la télévision, elle avalera sa platée avec gourmandise, lui, chipotera de ci de là dans l'assiette posée sur ses genoux à l'occasion d'un arrêt de jeu ou d'une action traînant en longueur.

L'inconnu assis à ses côtés s'acharne sur une partie de Tétris et cherche à combiner au mieux les formes géométriques, mais elle, ce qu'elle combine, arrange et marie, ce sont les ingrédients de la recette qui prend peu à peu forme dans son imagination. Agneau - pistaches - miel - cardamome - raisins de Corinthe, elle aime associer le salé et le sucré, même si elle sait bien que lui préfère les saveurs nettes et tranchées. Elle aime cette ambiguïté du goût, ce balancement qui finit par créer une saveur à part entière, ni sucrée ni salée... Encore trois stations, et il faudra faire vite. Elle tente de se rappeler ce dont elle dispose déjà en cuisine, dresse la liste des produits manquants, visualise l'itinéraire à travers les rayons de la supérette et minute chaque déplacement ; seul problème : l'éventualité d'une longue attente aux caisses. Il risque d'y avoir affluence, car aujourd'hui est presque jour de fête, même si "on" n'a pas encore "gagné".

La rame de métro se remplit peu à peu, à croire que tout le monde descend au terminus. Elle sait qu'il est plus long de prendre la ligne Nation par Barbès que de choisir la ligne 1 et d'emprunter la correspondance en milieu de parcours, mais sur cette ligne il est toujours difficile de trouver une place assise, et elle a horreur de voyager debout, surtout depuis la dernière augmentation du prix des billets. Elle a en poche juste ce qu'il faut d'argent liquide pour payer les achats de ce soir, pas besoin de passer à la banque, ça fera toujours du temps de gagné. Parfois elle se dit qu'elle apprécierait qu'il vienne la chercher à la sortie du métro, qu'ils aillent aux commissions ensemble, qu'il l'aide à porter les sacs. S'il n'en fait rien, ce n'est ni par négligence, ni par paresse ou indifférence ; simplement, ils n'ont pas laissé cette habitude là s'installer.

Il paraît qu'elle est encore jolie ; ça fait longtemps qu'elle ne se pose plus la question, mais il le lui a encore redit récemment, à l'occasion d'une discussion sur les liftings que s'imposent les people, devant la retransmission de la cérémonie des Césars : "Elle est encore bien, Ludivine Sagnier. - Au moins elle, elle ne se fait pas lifter tous les ans. - Pas comme Cécile de France ! - Ah ? Tu crois que... - Évidemment ! à son âge, on n'a pas les pommettes aussi bien dessinées ! - Méchant !... - Non, réaliste. Toi, tu es encore jolie, même sans lifting." Elle n'aime pas quand il lui dit ce genre de choses. Il n'a pas à les lui dire, ce n'est pas à lui de les dire. Pour qui se prend-il ? Comme ça l'agace d'y penser, l'envie de préparer le tajine d'agneau s'estompe. Ils vont finir par commander une pizza si elle continue à y penser.


*****


Elle a presque terminé ses achats. Finalement, elle préparera des grillades avec une salade d'endives et de noix. Elle a eu du mal à trouver des endives en plein mois de juillet, mais elle en a dégotté de toute petites, rouges et blanches, les mêmes couleur que l'entrecôte persillée. Sa rue, comme les autres rues du quartier, comme toutes les rues de Paris, d'Ile de France, de France, résonne de clameurs enrouées, "Allez les Bleus !". Elle se demande si Marc fera un jeu de mots avec la cuisson de la viande, "Deux entrecôtes bien bleues, allez les Bleus !". Tous les quatre ans, l'anniversaire se confond avec la finale du Mundial de foot, à quelques jours près. Les cris, les odeurs de merguez et de frites, les cafés bondés, les écrans géants, les visages peints, les perruques fluo, les cornes de brume... En 2002, c'était le même remue-ménage, la même fébrilité communautaire, le même vacarme qui lui parvenait malgré le double vitrage de sa fenêtre.

Le téléphone avait sonné à la mi-temps. Peut-être sa copine Anna, une vraie mordue de football depuis quatre ans, depuis 98 ; elle pouvait l'appeler pour lui faire part de ses inquiétudes quant à la défense des Bleus, Turam fatigué, Zidane visiblement agacé. Non, ce n'était pas Anna. Commissariat de police de Saint-Raphaël. Accident. Grave, oui. Mort sur le coup, plongée dans le coma, pronostic très réservé, perforation pulmonaire. "C'est votre soeur ?" Elle avait failli répondre "oui". "Les pompiers estiment que votre mari n'a pas souffert ; nous pouvons envoyer un véhicule à votre domicile, à moins que vous ne préfériez prendre l'avion..."

Ils étaient partis en vacances, une semaine sur la Côte, quel cliché ! Cela durait depuis... depuis quelques mois, six ou sept, elle n'arrive pas à se souvenir du jour où il lui avait annoncé sa liaison. La scène reste bien présente, mais pas la date. Il avait présenté la situation comme un contrat dont elle était quasiment tenue d'accepter les termes. Un week-end sur deux, la moitié des périodes de congé, en s'organisant l'arrangement semblait possible. il n'avait pas réagi quand elle avait relevé que tout cela ressemblait aux modalités d'une garde conjointe d'enfants dans le cadre d'un divorce. Léa était déjà enceinte à cette époque. Bien sûr qu'il l'aimait encore, mais il se sentait capable d'aimer deux femmes simultanément, Léa et elle - il avait commencé par Léa - et même si c'était à l'autre qu'il avait fait un enfant, elle devait le croire. Pourquoi le commissariat avait-il appelé à son domicile ? Probablement figurait-elle en tête de liste dans le mémo des appels passés sur le portable de Thierry - touchant... Ils avaient effectivement tout organisé, le bébé passerait la semaine chez l'habituelle nounou, ils le récupéreraient dans la nuit du dimanche ; Thierry ramènerait alors Léa et Marc chez eux, avant de réintégrer le domicile conjugal et peut-être de lui faire l'amour, à elle. L'accident était survenu à la sortie de l'autoroute. Thierry avait toujours eu du mal à ralentir, passer de 130 à 90 comme ça, brutalement, la transition que constituait le passage au péage ne lui suffisait pas ; au contraire, cet arrêt forcé l'incitait à accélérer encore, pour conserver la moyenne. A Saint-Raphaël, ça ne pardonne pas, en plein mois de juillet, même un dimanche, un soir de finale.

Hébétée, elle avait accepté le contrat ; du coup, elle avait regardé seule la finale, histoire de pouvoir tenir une éventuelle conversation avec Anna. Le téléphone sonna à la mi-temps.


*****


Elle tranche les endives pendant que Marc s'installe devant la télévision. La pub hurle, le commentateur vocifère, la Marseillaise grince. Impossible de se rappeler tous les détails des démarches administratives et judiciaires qu'elle avait dû entreprendre pour obtenir le privilège exceptionnel, l'insigne honneur de devenir - quoi ? "responsable" de l'enfant ? La situation, pour atypique qu'elle fût, s'était vue dénouer par un juge assez subtil pour trouver le mot exact qui décrivît la nature du lien qui unissait Marc et sa... Mais elle avait oublié ce mot.

Elle ne lui a jamais rien dit, à peine a-t-elle, un jour où Marc lui demandait qui était son papa, improvisé une histoire d'adoption ou de famille d'accueil - elle ne sait plus -, une histoire de deuil, d'accident de voiture où papa trouve la mort, "oui, il était seul, toi et moi étions restés à Paris pour regarder la finale, enfin toi tu dormais, tu étais tout petit. Papa avait dû s'absenter pour son travail, peut-être qu'il aurait lui aussi regardé la finale dans sa chambre d'hôtel, on se serait appelés pour parler du match. - Pourquoi tu dis papa si c'est pas mon vrai papa ? - Tu sais, Marc, ce qui compte, c'est l'amour."

A présent il a seize ans. Trop tard pour lui raconter. Elle espère juste qu'elle ne sera plus là quand Marc apprendra la vérité. Car il y aura accès, à la faveur d'une tracasserie bureaucratique ou d'une anodine demande de livret de famille. "Ce que l'on croit intime relève en fait du domaine public", pense-t-elle alors, en finissant de mélanger les ingrédients de la sauce destinée à accompagner la salade. Elle ajoute un peu - très peu, ce sera imperceptible - de sucre à la vinaigrette. Aigre-doux - sa saveur préférée.